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L’homme d’une seule femme ? Delibes, de Lakmé à Kassya

Contrairement à Debussy, adulé par les jeunes générations, ou à Massenet, jamais oublié des interprètes, le nom de Léo Delibes n’a longtemps été associé qu’à un opéra, réduit aux démonstrations de bravoure des sopranos émérites et à une unique héroïne : l’étrange, évanescente Lakmé. Il faut attendre la dernière partie du vingtième siècle pour affaiblir de tenaces clichés.

Kassya, opéra testament, s’avère exemplaire de cet héritage en demi-teinte : des librettistes brillants, un sujet à la mode tiré d’un auteur scandaleux… Et huit représentations avant une disparition complète des scènes d’opéra ! Tout était pourtant réuni pour garantir la réussite du projet. Mais les aléas de la production au moment où la musique européenne subissait des modifications telluriques expliquent son statut d’œuvre maudite. Après Lakmé, le temps semble enfin venu de reconnaître la subtilité d’un musicien trop souvent réduit à son goût pour les colorature.

De l’Inde aux Carpates
« Où va la jeune Indoue, fille des parias, quand la lune se joue dans les grands mimosas ? » En 1883, la création de Lakmé, évocation cruelle des rapports entre l’Inde et l’Occident, permet à Delibes d’affermir une carrière brillante, couronnée par un poste de professeur de composition au Conservatoire de Paris et par une nomination à l’Institut. Les innombrables reconnaissances qu’accompagnent un tel succès ralentissent la genèse de son nouveau projet, consacré à l’Europe de l’Est. Après l’Inde sous domination des anglais, l’Europe centrale de la Galicie, entre Pologne et Ukraine, secouée par les tensions de classe entre nobles et paysans. Au terme de six ans d’une genèse difficile, Delibes meurt brutalement en janvier 1891, laissant Kassya inachevée et son contemporain, Jules Massenet, achever l’orchestration.

L’intrigue reprend le motif de la séductrice, à laquelle Delibes donne un caractère infiniment plus cruel que l’innocente Lakmé. Le quatuor amoureux procède par mise en miroir des figures féminines (les ambivalences de Kassya face à la fidélité de Sonia) et des classes sociales (aristocrates et paysans).

Deux librettistes dont l’un, Henri Meilhac, s’était fait connaître pour Carmen, et l’autre, Philippe Gille, avait officié pour Lakmé… et un auteur inattendu ! La trame de Kassya est directement empruntée à la nouvelle Frinko Balaban de Sacher-Masoch, plus connu pour sa Vénus à la fourrure, puis pour avoir été associé par les psychiatres au concept de masochisme. Rien de sulfureux n’émane pourtant de Kassya, sauf la cruauté déployée par les plus puissants contre les plus faibles. Si le texte d’origine avait bien pour cadre l’Europe centrale, il revient au duo librettiste d’avoir fait de Kassya une bohémienne et d’avoir rajouté le personnage de Sonia dans le quatuor amoureux. Au vu d’une telle trame ou de la notoriété des librettistes, nulle réponse évidente au questionnement liminaire : pourquoi la longue éclipse de Kassya ?

Une genèse mouvementée
Si les reconnaissances officielles disent l’importance de Lakmé, elles ne favorisent pas, sans doute, les efforts de Delibes pour se remettre au travail. C’est pourtant dans le cadre d’une délégation officielle que le compositeur – qui a déjà annoncé son nouveau projet par voie de presse – effectue une tournée en Hongrie à l’été 1885, à l’invitation de l’Académie hongroise. En compagnie du fameux explorateur Ferdinand de Lesseps, Delibes découvre les montagnes carpates, celles-là même de Kassya, et se familiarise avec l’univers des Czardas – qui expliquent sans doute le choix de faire de son héroïne une bohémienne, afin de faciliter l’introduction de thèmes populaires. Massenet est aussi de la délégation, lui qui participe au rayonnement de la France en Hongrie. La première de Kassya à l’Opéra-Comique est annoncée dans la presse pour la saison 1887-88. Mais le 25 mai, la salle Favart flambe, remettant en cause tous les projets musicaux. Alors que le lieu de la création devient incertain, la santé de Delibes s’affaiblit. Lorsque le musicien meurt, Kassya est achevée dans une version pour chant et piano, partiellement orchestrée. Jules Massenet la reprend, la termine mais y apporte une modification substantielle, en transformant en récitatifs les dialogues parlés initialement prévus par Delibes.

Un décalage esthétique ?
Exotisme de pacotille, superficialité de l’intrigue… Les critiques qui fusent lors de la création sont sévères à l’égard de l’ultime œuvre de Delibes – au point, dans un deuxième temps, de rejaillir sur Lakmé. Par-delà leur véhémence, que disent ces jugements de l’esthétique de l’œuvre ?

Prévue pour l’Opéra-Comique, associant dialogues parlés et numéros chantés, Kassya est, on l’a dit, est profondément modifiée par Massenet. Cette hybridation entre deux compositeurs aux influences diverses contribue sans doute au malentendu. Plus profondément encore, pour la jeune génération musicienne, elle accuse avec violence l’écart avec ce qui était alors perçu comme le summum de la modernité : l’œuvre totale wagnérienne. « Le wagnérisme nous envahit, nous submerge. Dans ma classe de composition, au conservatoire, mes élèves y pensent sans cesse, en parlent entre eux, m’en parlent à moi-même. Que devons-nous faire, nous musiciens d’une autre génération ? Rester indifférents ? Insensibles à ce mouvement universel ? Ou bien évoluer avec notre temps, modifier nos idées, nos manières, notre art enfin ? » s’interrogent alors Edouard Lalo et Delibes dès 1886 à l’occasion du Roi d’Ys de Lalo. Et Emmanuel Chabrier de constater en une formule choc : « Je trouve horrible tout ce qui me vient sous la plume ! Je prends le parti de me taire… Wagner m’a tué. » Si, en 1902, Claude Debussy devait apporter des solutions proprement françaises au principe de mélodie continue dans Pelléas et Mélisande, dix ans avant l’écart affiché par Kassya – dont la structure en numéros, répartie en récitatifs, en airs et en ensembles et la veine mélodique prononcée relèvent davantage d’un modèle italien – est massif. Au sein d’une génération prise entre adhésion iconoclaste au musicien de Bayreuth et désir de contester les maîtres anciens, Delibes, par son incapacité à défendre sa Kassya, fait figure d’exutoire idéal.

Baignée dans l’imaginaire du Consuelo de Georges Sand, voyage fantasmé dans une Europe des confins, témoignage du faste de l’Opéra-Comique, réflexion de classe sur le renversement des puissants par les faibles… Tels sont aujourd’hui quelques-uns des nombreux thèmes qui peuvent redonner à Kassya l’évidence des grandes œuvres françaises.

// En partenariat avec le Festival Radio France, texte par Charlotte Ginot-Slacik

Synopsis
Au pied des montagnes carpates, Kassya, jeune bohémienne, se rend à l’amour du paysan Cyrille, avant de le quitter pour le Comte de Zévale, qui domine la région. Vainqueur mais rancunier, celui-ci oblige son rival à s’enrôler dans les armées impériales. Deux ans plus tard, à son retour Cyrille retrouve son père réduit à la misère par le tyrannique aristocrate, accompagné de Sonia, qui n’a jamais cessé d’aimer son ami d’enfance. Le héros pousse alors les paysans à la révolte, renverse le Comte, revoit Kassya, devenue comtesse, et dont la cruauté égale son époux. Il sauve in extremis la jeune femme du lynchage. Celle-ci tente de ranimer la flamme de son ancien amant, alors que se fait entendre le cortège des noces avec Sonia. Face au refus de Cyrille, qui lui préfère sa fidèle promise, Kassya se donne la mort.


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